Deuxième Tableau
Scène 3
Le premier quartier de la Lune, les Oiseaux fées, la famille royale de Cœur.
Le Cygne.– Dames, damoiselles, sieurs, voici le roi !
Les trompettes sonnent joyeusement.
Le Cygne et les Oiseaux fées.– Longue vie au roi, à la reine et à leur enfancelle chérie !
Le roi, tenant fièrement sa fille au creux de ses bras, et la reine, couronnée d'un diadème de roses, s'avancent sans escorte, main dans la main, au milieu des oiseaux, saluant poliment les uns, puis les autres. Les Oiseaux fées se redressent progressivement. Puis le roi et la reine vont s'asseoir sur les grands fauteuils capitonnés sculptés de volatiles graciles qui trônent sur un perron, à leur intention, à l'opposé du puits, dont la pierre et la margelle florale sont elles aussi ornées d'oiseaux, réalistes ou chimériques.
Le roi de Cœur, visiblement ému.– Merci, mille fois merci, mes amis, d'avoir franchi monts et vallées, d'avoir traversé déserts, mers et océans, d'avoir abandonné un temps vos cieux parfois lointains, vos familles, vos petits pour venir jusqu'à nous, si simplement, si délicatement, si affectueusement. Oui, votre présence en ces lieux nous touche, infiniment. Elle nous est essentielle. (Après un silence.) Vous savez combien nous est chère l'universelle harmonie : vous êtes ses garants autant, plus que nous sans doute, et vous tenez votre rôle à la perfection, comme l'onde, la Lune et le Soleil. Humbles, d'entre les humbles, puissants ou frêles, grands ou petits, merci ! Mille fois merci ! (Après un silence.) Une fois n'est pas coutume : trêve de long discours ! Avant de perdre mes mots sous le coup de l'émotion inouïe qui m'étreint, je déclare ouverte la cérémonie des vœux !
Les trompettes sonnent joyeusement.
Le Cygne et les Oiseaux fées.– Longue vie au roi, à la reine et à leur enfancelle bien aimée !
Le roi de Cœur, dans un souffle souriant.– Merci, mille fois merci. (Après un silence.) Que s'avancent maintenant, successivement, les huit élus de la Lune qui nous feront l'honneur de prononcer leurs vœux généreux...
Les trompettes sonnent joyeusement.
Le Cygne.– Comme un nuage gris passe, et pour ne pas l'éblouir, j'appelle tout d'abord auprès de moi, la prêtresse de Lune, le fanal de nos nuitées, j'ai nommée la Chouette, hulotte point revêche...
Les trompettes sonnent joyeusement. La Chouette quitte sa meurtrière puis vient se poser sur le dossier du plus haut trône, celui du roi. Elle admire la petite princesse.
La Chouette.– Hoû-ou... Ou, ou-ou-ou-ou... (Au Cygne.) Vous auriez dû commencer, ô grand chambellan ! Merci, néanmoins, de votre délicatesse... que j'espère ne pas devoir à ma vieillesse !
Le Cygne, se récriant.– Angheu, houp-houp !
La Mouette, essayant de réprimer son rire.– Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
La Chouette, les ailes déployées.– Psyché éclipsera la Lune par sa beauté, mais sa peau lui empruntera son teint de lait !
Les trompettes sonnent joyeusement. La Chouette retourne à sa meurtrière.
Le Cygne, cou tendu, solennel, auprès de la reine.– Elle aura du chaud Soleil l'éclat et l'ardeur ; par son enthousiasme, elle exaltera les cœurs !
Les trompettes sonnent joyeusement. Le Cygne fait une révérence.
Le Cygne.– Parce qu'il vient de loin – d'outremer et d'Arabie – j'appelle à mes côtés le sultan capiteux, le prince du désert, j'ai nommé le Faucon de Barbarie !
Les trompettes sonnent joyeusement. Le Faucon s'avance, altier et mystérieux. Il regarde longuement la princesse.
Le Faucon.– Khi-ak !
La Mouette, essayant de réprimer son rire.– Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Le Faucon, regardant à nouveau la princesse, après avoir lancé un air réprobateur à la Mouette.– Son œil pers et perçant sondera les esprits et incitera les cœurs à s'ouvrir sans bruit...
Les trompettes sonnent joyeusement. Le Faucon se retire, et se fond dans la foule diaprée.
Le Cygne.– Pour tromper sa timidité et faire cesser ce rire niais, après le Faucon, j'appelle la fille des nuées, des embruns et des brisants – la Mouette rieuse, si bien nommée !
La Mouette, essayant de réprimer son rire.– Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Les trompettes sonnent joyeusement. La Mouette timidement s'avance, un peu honteuse. Un regard à la princesse l'attendrit et calme son rire réflexe.
La Mouette, réconciliée avec elle-même.– Kouarr ! (Après un silence.) Elle sera curieuse des arts et des saisons, des autres et des moissons...
Les trompettes sonnent joyeusement. Définitivement apaisée, la Mouette retourne parmi le peuple aviaire.
Le Cygne, inquiet, pour lui-même.– Tiens, le vent se lève... (Haut.) À propos de saisons, j'appelle auprès de moi le prince de l'hiver en ces plaines, en ces bois : M. le Corbeau...
Les trompettes sonnent joyeusement. Le vent se confirme, gonflant les plumes du Corbeau qui s'avance en se dandinant. La reine ne peut réprimer un frisson : l'inquiétude monte en elle.
Le Corbeau, d'une voix nasillarde.– Krroap ! M. le Grand Corbeau, s'il vous plaît. (Après un silence.) Krroap ! Krroap ! Étoile, elle éclairera et orientera la nuit ; et le jais de ses cheveux assombrira le jour... Krrahk !
Les trompettes sonnent joyeusement. Le vent s'affirme. La reine déglutit, souffle et frissonne : l'inquiétude se lit dans son regard.
Le Cygne, inquiet, pour lui-même, en tendant le cou.– Il faut pourtant que je tienne le coup... (Haut.) Autre saison, autre discours ! J'appelle auprès de moi...
Un coup de vent brutal fait s'envoler quelques gonfanons. Les oiseaux se blottissent ou se mettent en boule. La reine se lève, le regard égaré, enserre son époux et son bébé.
La reine de Cœur.– Cy !...
Le roi de Cœur.– Cygne, que se passe-t-il ?
Le Cygne, pour les époux royaux.– Le vent de la destinée, messire...
Hiver 2009.