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1 janvier 2015 4 01 /01 /janvier /2015 03:07
Miscellanées # Faits d'hiver

21 décembre

 

FIAT LUX


 

          Lucienne. Ô ma Lucienne... Mon ange porte lumière. Ma toute belle. Te souviens-tu de la première fois ? Notre première fois. Ta petite main gantée de blanc dans ma paluche déjà rugueuse. Ce fin coton blanc crocheté au printemps. Chaînette et doubles brides.

          C'est à ta petite main chaude glissée avec audace dans la mienne que je pensais quand cette auto m'a surpris dans le matin givré.

          Et à ce défilé improvisé dans les rues pavoisées de Parthenay début septembre 1945. L'un contre l'autre serrés par la presse. Ton avant-bras nu frôlant le mien. Les poils hérissés de mon bras gauche. Et la dentelle de ton poing. Ton gant à trous-trous, comme tu aimais à dire, pressé doucement dans ma poigne de cultivateur.

          Depuis ton départ précipité, rien n'est plus pareil. Les fenêtres de notre maison une à une se sont fermées. Plus la force de les ouvrir de les fermer, chaque matin chaque soirée. La clarté, notre fête quotidienne, s'est blottie dans mon cœur pour ne plus le quitter. Seul il rayonne et éclaire suffisamment notre foyer, la tête de notre grand lit désormais toujours défait, mon chevet avec son tiroir à secrets, la descente de lit, où dorment sagement tes charentaises, le petit coin, la cuisine où – tu as vu – j'ai soin de ne plus entasser la vaisselle et mon fauteuil près de l'âtre, chasse gardée du greffier.

          Depuis ton départ précipité, je n'ai plus toute ma tête. Je repense sans cesse aux images sacrées du passé. À la traction noire des FFI bardée de fanions tricolores que je voyais à peine derrière la buée de ma joie. À ta voix claire fredonnant à tue-tête le Chant des partisans. À tes mains gracieuses brodant savamment ton linge au point de tige avant nos épousailles. À nos courses folles dans les champs moissonnés. À nos nuits sous les étoiles entre les bottes fraîches. À cette vie de labeurs partagée. Sans défection.

          Le silence m'a pris à la gorge cet automne. Tu es partie et le silence m'a pris. Marcel a beau passer chaque semaine. Le silence m'a pris pour ne plus me quitter depuis ton mauvais mal. Le soleil a beau briller, faire briller branches et toitures, il ne m'appelle plus dehors. Sauf à l'occasion de ma tournée matinale.

          C'était elle que je venais de faire. Ô modestement – tu penses. Plus question d'aller jusque chez le buraliste. Mon pain chaud. Quelques victuailles. Ma chopine. C'est tout. Je n'ai plus d'yeux pour lire le journal. Même plus pour pleurer. Depuis ta mort, rien n'est plus pareil.

          Alors je m'accroche à ta main disparue dans ma paume hâlée. C'est elle qui me guide. C'est à elle que je songeais quand les phares de l'Audi grise immatriculée en Allemagne m'ont renversé : je regagnais la rue des Batteries.

          Premier jour d'hiver. Dernier de ma quatre-vingt-neuvième année.


 

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7 juin 2014 6 07 /06 /juin /2014 13:17

Sur le balcon

spectacle

des trombes d'eau orageuse

fougueuse

 

Tu danses

innocence

rebelle

 

Tu danses

sur les lointains accords

de l'oud

 

Tu danses

en chemise de nuit

à fleurs

 

Surplombant

la rue

tu danses

pour toi-même

 

Nul badaud

Nul chien errant

promenant son absence

 

Tu danses

rai de soleil

entre les gouttes

drues, serrées, parfumées

 

Tu danses

et

personne

ne le sait

 

P1000568.JPG

 

Mon jardin secret ?

Regarde bien...

 

 

Le long du chemin empierré remonte ma mémoire

Le long de la verte barrière en bois qui ondule dans la brume s’invente une enfance bercée le midi sur les genoux de mamie

Le long de ce mur infini où nichaient les hirondelles je balaie et joue à la marelle dans son sillage de brillantine

Le long de ces quelques troncs, points d’exclamation dans le silence matinal ou la chaleur d’une après-midi d’été, s’échafaudent ces cabanes forestières de fougères qui n’occultent que l’histoire et font retentir nos cris

Le long de ces murets mangés de verdure que je reconstruis pierre à pierre se monte la vieille maison ruinée qui m’a bâtie dans la campagne aquitaine

 

Le long de ces massifs colorés, entre lesquels nous déroulions le tapis des jeux capricieux, se pressent nos mains avides qui recueillent le suc parfumé des petites fraises des bois et l'odeur sucrée du café venue de la cuisine

 

Le long des tiges vibrantes des nouvelles jonquilles circule la sève du souvenir

des aurores

des hiers

des rencontres

des demains

des mots doux

 

D’ailleurs pourtant

je suis

ce jardin,

clos

et

offert,

où tu t'épanouis

  Été 2009.

Le Jardin adolescent
Le Jardin adolescent
Le Jardin adolescent
Le Jardin adolescent
Le Jardin adolescent
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7 juin 2014 6 07 /06 /juin /2014 12:34

Le Jardin adolescent est paru en juillet 2013 chez la discrète maison d'édition bordelaise des Dossiers d'Aquitaine.

Pour le commander, tapez :

http://nouveautes-editeurs.bnf.fr/annonces.html?id_declaration=10000000112967&titre_livre=Le-Jardin-adolescent

ou

http://arpel2010.aquitaine.fr/spip.php?page=livre&isbn=978-2-84622-240-2

ou écrivez aux Dossiers d'Aquitaine

7, impasse Bardos 33800 Bordeaux

ddabx.info@gmail.com.

Si vous êtes Deux-Sévrien(ne), rendez-vous à la Librairie des Halles ou chez Créa Coiffure à Niort !

En fait, je rêve de voir ce premier recueil poétique, rédigé en 2009, rehaussé des couleurs de l'arc-en-ciel de mes peintures photographiques de fleurs et publié en album.

Avis aux éditeurs...

Le Jardin adolescent
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7 juin 2014 6 07 /06 /juin /2014 10:13
Voyages#Yémen اليَمَن

Août 1995.

Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
Voyages#Yémen اليَمَن
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6 juin 2014 5 06 /06 /juin /2014 10:22
Voyages#Omanعمان

Avril 1997.

Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
Voyages#Omanعمان
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24 mars 2014 1 24 /03 /mars /2014 23:42
OPUS 4 # NIORT "Nouvelle(s) Scène(s)" - PORTRAITS-POEMES
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23 octobre 2013 3 23 /10 /octobre /2013 18:54

ailesauroralesduradiateur1-30.05.09.JPG

 

Premier tableau

 

 

7. Sarah BOND

 

Sarah BOND arrive en courant dans le salon d'embarquement déserté.

 

Sarah BOND, haletante. Personne ? Il est pourtant 18 h 55. Oh ! Non ! Je l'ai râté ! L'embarquement a fini plus tôt que prévu. Vraiment personne ? Et que dit l'écran ? C'est pas possible ! Il annonce déjà le vol pour Francfort. Maudit réveil ! Maudit séjour ! Tout ça pour voir défiler à la nuit tombée des fous dansant sur leurs chars clinquants. (Elle souffle.)

Bon d'accord, c'était plutôt sympa de la part de mes parents de vouloir me changer les idées. Me faire oublier. Mais comment oublier si vite ? Comment pardonner ?

J'avais besoin de couler à pic, pas de faire la fête. Le tambour assourdissant, je l'ai en moi. Au fond. Pas besoin de venir ici le chercher. Faire naufrage, sombrer et entraîner dans ma chute irrésistible tout un équipage. Tout. Je suis sur une pente bien douce. Bien savonneuse. Ravageuse. J'ai soif de catastrophes. De carnages. De bravades. La haine monte malgré moi. Je ne savais pas. Je n'aurais pas cru pouvoir éprouver ce sentiment-là. Si puissamment. Si. Là. (Elle met la main sur sa poitrine.) Ancré.

Après toute cette violence contre moi exercée. Sa violence. Ta violence, Denis. Quand tu m'as laissée comme une vieille chaussette. La cinquième roue du carrosse. Ou la fée Carabosse. Ta violence. Insoupçonnée jusque-là. Au point de me demander d'avorter. Comment supprimer un être né de l'amour ? Tu m'as demandé d'avorter. Pour convenance personnelle. Comme si l'on pouvait changer d'avis. Parce que finalement, non. Tu avais bien réfléchi. Peut-être un peu tard, tu ne crois pas ? Ta violence, Denis. Tes coups. Sur mon ventre. Puis la mienne. Flux. Reflux. L'appel du vide encore. Du néant. Le noir total. Les tranquillisants. Les mois passés comme une larve dans un hôpital psychiâtrique à retrouver des raisons d'exister. De sortir. Hors du trou. Comme une loque déguenillée sur une banquette du métro. Ton métro. Comme une chienne abandonnée qui erre sans plus se retourner. Comme une junkie paumée pas encore sevrée.

Tu vois, Denis, je ne te l'avais pas dit. Je n'ai pas avorté. Mais notre enfant ne vivra pas. Il a coulé malgré moi entre mes jambes. Dégoûté de ton ingratitude, de ta fuite, de ton désamour, de tes coups. Ah ça ! Tu l'avais bien assommé. Comme la dose de médicaments que j'ai ingurgitée après. Après le claquement de la porte, le dévalement de tes pas dans l'escalier, dans le silence retombé. En ce soir de novembre pluvieux. Bien sûr, il a sursauté à mes cris, à tes coups, s'est noyé dans mes larmes. Il a senti ma désespérance. Ma déshérence.

Notre enfant ne vivra pas. Tu vois, Denis, même mes parents l'ignorent. Je ne leur dirai jamais. Mais à toi je vais le répéter. Je sais où te trouver. J'ai suivi ta trace. Je te hanterai comme un remords. Comme une manie. Comme une obsession. Jusqu'à ce que tu dises pardon. Si seulement tu en es capable.

Ce carnaval coloré, ces arlequinades à plumes, à strass et à paillettes sur des airs de samba n'y changeront rien. Simple divertissement. Même pas divertissant.

Comment oublier si vite ? Dans ce capharnaüm hystérique ? Il aurait mieux valu un séjour d'un mois au Nunavut. Pour oublier. Dans l'immensément blanc. (Elle s'assoit, souffle, respire profondément en fermant les yeux. Long silence.)

Le vent du large. Il faut que je me laisse gagner par le vent du large. C'est ça. C'est mieux. Ne plus ruminer. Oublier ces dix mois de cauchemar. Oublier ce type. Ce pauvre type. T'oublier, Denis. C'est ça. C'est sans doute ça que papa et maman voulaient me dire. Tout simplement. Et pourquoi pas laisser l'appartement parisien, la vie patiemment construite et revenir là-bas ? À Québec.

Le vent du large.

À moins que.

Il y a cinq ans, la première fois que j'ai retrouvé Denis : c'était dans un petit hôtel du premier arrondissement de Paris. Rue du Pélican, je crois. Impossible de nouer nos corps à la cité U ou chez ses parents. À l'hôtel, le parquet de la chambre à la déco surannée n'en finissait pas de craquer. Le sommier de grincer. Quand nous avons monté pour la première fois les trois étages de l'escalier, sur la rampe s'attardait la main longue, languissante et sensuelle de ce grand jeune homme brun qui nous a fait visiter la chambre. Je ne me souviens plus de son visage, que par pudeur, par fidélité à mon amoureux, je ne m'étais pas autorisée à contempler, même subrepticement, dans la pénombre de notre ascension. Si. Peut-être l'éclat d'un regard. Juste ça. Et la honte avait dû m'envahir... Mais le frôlement de cette peau sur la pulpe de mes doigts. Peut-être sur le dos de ma main à un moment. Sa chaleur. Le désir qu'elle faisait grandir en moi. Ce frôlement insistant, indécent presque, m'avait troublée. Profondément. Comme une invite. À laquelle je n'ai pas répondu. Une invite à laquelle j'aimerais répondre aujourd'hui, ranimée par le souvenir net, envahissant, grisant, du contact chaud et doux de cette main inconnue. De ce jeune homme entrevu. Jamais revu pourtant. Juste son sourire une fois, le lendemain je crois. Inconnu que je ne saurais reconnaître. Il me tient pourtant aujourd'hui. Il court dans mon bras, jusqu'à mon épaule. Dans mon dos, jusqu'au creux de mes reins. Mon Dieu ! Si je pouvais retrouver cet inconnu que je ne puis reconnaître au hasard d'une rue. Me reconnaîtrait-il, lui ? Sans doute laissait-il nonchalamment traîner sa main sur la rampe à chaque nouvelle arrivée. Pour tester son pouvoir de séduction. Pour allonger le catalogue de ses conquêtes, avec une prédilection pour les situations délicates, équivoques, scabreuses. Par défi. Ou pour trouver l'âme sœur. Non. Ça, c'est un raisonnement de fille.

Si une main d'homme s'offrait aujourd'hui à moi, en tout cas, je réagirais différemment. La curiosité l'emporterait. Au moins, je le verrais, lui. Je manquerais peut-être encore d'audace mais.

Le vent du large. Grand Saint-Laurent, tu me manques. La puissance de ton cours majestueux. La richesse de ta vie. L'odeur de tes lointains.

Un autre frisson parcourt mes membres. Une autre sensation. Tiens. Un « Revenez sans votre ami. » glissé au creux de l'oreille, alors que je m'apprêtais à sortir du cabinet de l'ophtalmo. Denis venait de sortir. Nous étions alors inséparables. Mais. Quelque chose déjà avait changé. Ténu, mais. Une visite de routine. Avec un remplaçant. Une rencontre. Des yeux qui en disaient long. Une voix grave, charnelle. Un enthousiasme frondeur. De l'humour, beaucoup. L'effleurement d'une blouse blanche. Une poignée de main prolongée. Et puis ce « Revenez sans votre ami. » glissé au creux de mon oreille, que j'avais bien voulu ne pas comprendre de peur de. Mais auquel je m'étais raccrochée les jours sans. Et puis, ce coup de fil donné à l'hôpital un an plus tard, pour obtenir un nouveau rendez-vous, pour revenir seule. Il n'était plus là. Sylvain Le Floch. Je crois que c'était son nom. (Silence.)

Voilà. Il faut cultiver de telles réminiscences. Les choyer. Sans s'y enfermer. Se déprendre de tout. Pour être ouverte aux possibles. Dans la contemplation des hiers. Devenir le réceptacle de la beauté hasardeuse. Quand elle voudra bien se déposer au fond de moi. Ou sur mes lèvres. Au bout de ma langue. Sur mes ongles lacérant violemment le vide. Aujourd'hui ou demain.

Le vent du large. (Elle s'interrompt car elle a aperçu quelque chose ou quelqu'un qui la charme : un large sourire se dessine sur son visage.)

Finalement, c'est sans doute une chance que j'aie râté l'avion. (Silence.)

Dans la fourmilière à la gueule de bois, rescapée de la mélancolie, du sambodrome, je m'avance pieds nus mais en costume de bal. Et qu'importe que tu sois parti, Denis : j'ai râté l'avion, le monde m'appartient.

 

 

 

Troisième tableau

 

 

 

 

 

 

 

16. Phil GROTSKY

 

Sous une vive lumière, en équilibre sur un fil tendu en hauteur, apparaît Phil GROTSKY qui tient un long balancier. Les toits, les cheminées, les antennes, les poteaux, les réverbères, les fils électriques ou téléphoniques d'une ville apparaissent sur l'écran des rêves.

 

  

 

Phil GROTSKY, en redingote noire, marchant de gauche à droite sur le fil. Après la catastrophe aérienne milanaise du 8 octobre 2001, après ta disparition dans un brasier – pas même en plein ciel, Alba, j'aurais voulu te rejoindre. Je n'ai pas osé.

 

Longtemps j'ai regretté de ne pas t'avoir accompagnée lors de ton retour à Milan, auprès de ta famille endeuillée. Après avoir relié à nouveau les Twin Towers, en toute illégalité. Un mois jour pour jour avant les attentats du onze septembre... Trois mois après notre traversée croisée de l'entrée du gouffre Sotano de las Golondrinas. Je m'en suis voulu d'avoir laissé se briser notre rêve de marier sur un fil notre futur enfant. Celui que tu portais déjà à trois cent cinquante mètres d'altitude, au Mexique.

Longtemps je m'en suis voulu d'avoir retardé la pyramide céleste sans frontière que nous devions échafauder avec Adili, Michel, Stephen, Falko, Rudy, Kwon, Farrell, Dimitri et Jade. Sans toi, ce fut moins beau. Et l'énergie nous a manqué pour appeler une ample prise de conscience.

Puis j'ai choisi de parier sur nos retrouvailles dans la mort. Comme ces amants des anciens contes. Et j'ai voué ma vie à la seule recherche de la beauté éphémère et inouïe sur tous les toits du monde. Quitte à devenir criminel.

En continuant à marcher solitaire sur des fils de plus en plus longs, de plus en plus penchés, placés de plus en plus haut, j'ai poursuivi ton œuvre de beauté. Pour te rejoindre. Quand l'heure de nos retrouvailles aurait sonné. En hommage à Michel Brachet et pour célébrer ta couleur préférée, je me suis fait appeler le Diable noir. Et, de Tokyo à Jérusalem, des chutes du Niagara aux pyramides d'Égypte, de la caldeira du Tengger au Salto Angel, le Diable a tissé sa toile au-dessus de Notre-Dame de Paris, de la Tamise, sur les ponts, les tours, les sommets les plus impressionnants, dans les lieux naturels ou les villes les plus symboliques. Et s'est fait coffré plus de cinq cent fois.

Cette nuit, comme par surprise, je viens vers toi. Dans l'incandescence tumultueuse de la foudre je suis à toi. Enfin. Sans vélo, sans chaise, sans couteaux aux chevilles. Sans jonglerie. Sans fard. Et je te retrouverai dans l'écran constellé des rêves.

 

Peu à peu la lumière décroît. Phil GROTSKY continue sa marche aveugle. Et l'on croit apercevoir une silhouette féminine qui marche à sa rencontre avant que le noir ne redevienne total.

 

 

 

17. Yasunari BASHÔ

 

 

Yasunari BASHÔ sort son répertoire, l'ouvre et lit.

 

 

Yasunari BASHÔ.– I. I comme Italie. Firenze, Viale Michelangiolo, lundi 4 août 2008. (Il prononce les deux phrases suivantes sans les lire. Ferme les yeux. Avec ravissement.) Du crime considéré comme l'un des beaux arts. Quand il est perpétré par un homme infâme.

 

 

Il se remet à lire.

 

 

Yasunari BASHÔ.– J'ai assumé ma fêlure. Je la revendique à présent. Violemment. Dans l'exaltation imprévue de mon premier meurtre prémédité.

Neuf mois. Mes prisons. Voici neuf mois que, sur les traces de Robert Browning, The Ring and the book sous le bras, je m'imprègne des odeurs, des bruits, des rythmes, des ombres, des parcours, des méandres, des silhouettes de la capitale toscane.

 

De novembre à février, des banlieues populace au centre historique, dans l'enfer pollué des va-et-vient, toujours à pied, j'ai traversé les cercles concentriques de ce décor de théâtre. Ou de cinéma. De février à mai, de Santa Maria Novella à Santa Croce, du Museo archeologico à la piazza della Signora, le réprouvé a purgé sa peine parmi les hordes de touristes. Et réfléchi. Beaucoup. Aux conditions de sa transfiguration.

Quand, le trente-et-un mai, descendant le Lungarno Serristori en compagnie de tes amies tu m'es apparue, Stella, j'ai su que ce serait toi. Peut-être à cause de la grâce angélique de ta marche. Peut-être à cause du contraste saisissant de ta carnation limpide et du jais de ta chevelure. Peut-être seulement à cause de ta coupe de cheveux – la même que celle de ma sœur Kaguya. Tu ne m'avais pas regardé, mais tu m'avais vu. Je le savais. Alors j'ai quitté le Ponte alle Grazie pour vous suivre. Jusqu'au Ponte Vecchio où nous avons dégusté des gelati et fait connaissance. Je t'ai plu. Nous nous sommes revus. Chaque week-end d'abord, puis plus souvent. Tu m'apprenais l'italien en me découvrant les passages secrets que tu aimais, je t'enseignais le japonais et te parlais d'avenir. Perspective cavalière. J'étais pourtant sincère. Human Nature. Trois mois ensoleillés. Trois mois magnifiques.

Hier midi, du quatrième étage de mon nouvel hôtel, j'observais scrupuleusement la fornication de deux pigeons avant de retrouver la chorégraphie aléatoire des passants sur la piazza San Spirito. The girl is mine fredonnais-je. J'avais eu tout loisir d'imaginer cette journée, de régler chacun des derniers détails de nos retrouvailles à la galerie Palatine, de semer de cailloux blancs notre itinéraire amoureux.

 

Nous sommes arrivés en même temps au palazzo Pitti. Après la visite du riche capharnaüm de la galleria, nous sommes descendus aux Giardino di Boboli. Flânerie. Parties de cache-cache sur les terrasses jusqu'à la Grotta grande. Jusqu'au coucher du soleil nous sommes restés au Forte di Belvedere. Puis, rejoignant la Viale Galileo – la Viale Machiavelli n'était pas bien loin, nous avons gagné San Miniato al Monte en admirant le miroitement de l'Arno et en guettant les étoiles filantes pour faire des vœux...

Dans les ténèbres, je t'ai glissé : “ Depuis ce promontoire, les visages, les figures de la ville sont des rendez-vous manqués. Tant pis. They don't care about us.  Tu m'as souri. J'ai ajouté dans un souffle : “ Stella Barocco, I want to love you, Pretty Young Thing. And I know you want me Tu as accompagné mon étreinte passionnée. Offert tes plus charnels baisers. Frissonné longuement, en riant parfois, quand mes mains ont croisé leurs arabesques symétriques sur tes bras, dans ton dos, sur tes épaules, sur ta nuque dénudée. Mon dernier baiser gourmand a étouffé ton cri, quand mes doigts se sont cramponnés, croisés, serrés autour de ton cou. Dans les ténèbres, je n'ai pas vu tes lèvres bleuir, ta peau se marbrer, tes yeux révulsés. J'ai seulement consommé ton abandon. À satiété. Personne pour m'en garder. The lady is mine.

Ainsi commence ma giovinezza. Quand les murs se sont effondrés, enfin l'existence atteint son apogée. Vita Nova. Renaissance.

A me convien tenere altro viaggio : vorrai campar d'esto loco selvaggio. Et trouver en moi des endroits plus sauvages encore.

 

 

 

 

2010.

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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 02:11

 

Sainte-Pezenne

 

 

 

champsdeStePezenne--1-.JPG

 

 

 

Quand tout fuit

intraduisible

quand la terre se ferme

en faillite

dans le printemps humide

on rouvre les yeux vers le ciel

dès l'éclaircie

On inspire les pollens qui dansent

on prend le temps de l'oiseau

qui souffle les derniers frimas

sur le fil du possible

On enfile son vélo

appareil en bandoulière

parce qu'il faut bien

que la peur disparaisse

en giclées comme flaques

Et l'on retrouve les chemins d'ici

en famille

de peur qu'ils nous quittent

On place en besace

la touffe hirsute

la bouse pépère

le château endormi

ses dépendances

et ses sentes parfumées à l'ail des ours

descendant vers le fleuve

qui charrie les souvenirs de sa crue

Et l'on croit revivre

en s'écartant des traces

jusqu'à la berge où nidifient les remugles

jusqu'à la passerelle privée désormais

comme l'île des pêcheurs

les pieds pris dans la gadoue infranchissable

comme la porte des marcassins

ou les murs de la grimpette

aux coureurs

L'église miraculeusement ouverte

qui promet roses rouges

reste silencieuse

dans la lumière chaude ressuscitée

de la fontaine des morts

Cellulaire en main

les deux fillettes s'y retrouvent sur le banc de pierre

Pourtant les cloches tintinnabulent

et sonnent les tulipes sur leur tapis de pissenlits

Un moteur tourne

rue du presbytère

On a croisé presque personne

malgré la douceur

Il est l'heure invisible

de se retrouver

 

 

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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 09:57

P1020652.JPG

[..]

 

Je.– Je sens monter la fièvre du refus, la fièvre des recommencements, de la folie assumée. Une petite voix au fond de moi. La porte vers... (Je s'approche d'Elle qui rentre et lui prend le bras avec un sourire.) L'inconnu.

 

Elle, égarée. Ce lundi-là, ça va plutôt mieux avec cette résolution dans la tête et son cœur d'artichaut. Mais voilà. Il recommence. Il y a à redire. Elle est trop souvent partie le soir depuis l'année précédente : cours de solfège, de danse, spectacles, réunions... Trop souvent absente. Toutes les stratégies pour tenir, pour tromper l'attente, mettre entre parenthèse son désir, s'accomplir en dehors, sortir de cette obsession... Sans le tromper. Sans se tromper. Pour se trouver... Différemment. Divertissement. Ben, oui ! Tromperie. Stratagème certes. Mais, avant, qu'y avait-il entre eux ? Un espoir, une feinte chaque jour renouvelée faute de mieux. Et l'angoisse de tout briser. Cette responsabilité-là. Des reproches, avant même que naisse l'idée d'aller ailleurs interroger le monde, de chercher ailleurs un regard rassurant. Une bouche. Complice. Des bras. Aimants. Un corps protecteur. Cocon. Ou paravent. Comme auparavant. Elle n'est pas nonne pourtant. Elle n'a pas pris le voile. Fait vœu de chasteté, de fidélité au Très Haut et d'abstinence...

 

Je, lui montrant l'exemple. Respirer. Prendre une profonde inspiration. Les yeux fermés. Pour tenir. Faire face. Assumer. Et répondre. Des mots. Pas du silence, pas des cris. Des mots. Même déments. Pour répondre. Sans faille. Sans faiblir. De mes actes. De mon attente trompée.

 

Elle. Quand n'y a-t-il rien à redire ? Quand tout est-il parfait ? Une finalement belle petite femme même pas mariée, simplement accrochée par le cœur et les rêves, les fleurs qu'elle a plantées, les murs et les marmitons... Sacrément. Pas même une bague, petit symbole. Sans sacrement. Sans serment. Non déclaration en mariage. Pas peu fier. Une petite femme bien patiente, genre Pénélope, toujours à rêver à l'amour fou encore possible malgré les nuits d'insomnie à constater, culpabiliser ou ruminer, à travailler pour oublier, faire taire les désirs, le corps, l'animal. Ben, non. Emma. Une profiteuse jamais contente, jamais satisfaite. Mal baisée et pour cause. Ce ne sont pas les termes, pas encore. Mais tout comme. Une même pas appétissante. Même pas aguichante. Même pas désirante. Comment pourrait-on avoir envie de lui faire l'amour, de la caresser dans le sens du poil, quand elle se refuse et se tient à distance. Une qu'on a envie de faire dégager rapide, cause que sa tronche est “un remède à l'amour”. Je vous jure ! Haro sur la société de consommation ! Sur l'individualisme ambiant ! Elle est égocentrique. Il assume trop de choses : une perle d'homme, un ange. Sans doute. Mais trop c'est trop ! Et puis, voilà la liste de ce qu'il a fait, voilà les dates de tels et tels méfaits par elle perpétrés... Par elle consciencieusement oubliés. Consciencieusement. Une mémoire d'éléphant qui n'oublie jamais, même ce qu'on est censé pardonner, au moins comprendre. Dieu vivant. Inexorable et omniscient. Dieu vengeur. Ancien Testament. (Silence. Au public.) Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre... Pourtant.

 

Je, révoltée, continuant à préparer son sac. Il m'a dit : “Tu pars !”. Mea culpa.

 

Elle. Il l'a répété. Et elle n'est pourtant pas partie. Par soif d'explications. De mots. Même durs, même outranciers. Des mots. Du lien. Un filet de mots. Entre deux eaux. Scène cruelle, mais importante. Scène incomplète. Avilissante. Coupée. Tronquée. Interrompue. Coïtus interruptus.

 

Je. Acte V, scène 1. Minuit en plein jour.

 

Elle, fermant les yeux pour retrouver des forces. Respirer. Prendre une profonde inspiration. Les yeux fermés. ...8...22...66. Le grand soleil. L'air de la mer. (Silence. Un vague sourire.) Un visage flou. Fragile. Des parties de badminton. Des errances. L'amour dans les dunes. Sous la brûlure du soleil.

 

Elle rouvre les yeux et rassemble du matériel d'écriture sur la table, devant laquelle elle s'assoit.

 

Elle. Le mardi matin, commotionnée, elle ne peut qu'écrire son “Récital pour un absent”... Un autre, pas celui auquel elle avait pensé. (Elle écrit.)

 

 

[...] 

 

 

Voix féminine artificielle, très forte.– Le T.G.V. numéro 2403 en provenance de La Rochelle ville est annoncé quai numéro 13.

 

D'abord en sourdine, puis de plus en plus présents, bruits de pas, de sonneries de téléphones portables, de conversations tronquées en diverses langues, avec des accents et des intentions variés. Souffles mêlés du train qui entre en gare et de la cohue des passagers. Freins. Sifflets et annonces lointains. Bruits mécaniques associés à l'ouverture des portes et à la sortie des voyageurs. Premier concert poétique.

 

Voix terrestres, polyphoniques, dans le noir.– T'as vu le crin là-bas. Au-voir le crin ! Le micro ! Tu en verras bien d'autres des trains. Elle a quarante-huit ans. C'est drôle un petit choco pour l'aller. Elle est là. Non, quarante, quarante-trois. Ne sois pas désagréable. Elle est là, le crin pour les micros ! Mais. Oh ! Mais on paie : y'a rien à dire. Moi, je peux pas prendre d'autres T.G.V.. Tout le monde y passe. Tu savais qu'elle avait un gros problème ? Oui, j'ai bien aimé. C'est à la tomate. Prego. J'ai juste assez pour m'acheter un truc. Je la laisse faire, tu sais, ma fille. Elle montre bien qu'elle est angoissée. Stressée. Y'a tellement de monde : c'est affreux. Le mois de septembre. Fanny, elle l'a remarqué. Elle subit. C'est pas à la foire de Paris que vous allez trouver. La foire de Paris. Moi, j'ai pas trouvé à la foire de Paris. On ne sait jamais. Elle est riche. ?صحة جيدة À la chasse. Se sentir renfermé : en plus, une heure. Comme les musiciens. Mais le piano. Pause. Le dernier ferme ailleurs. Tonton, on le voit pas Tonton. Moins dix. Si, il est là. Tonton ! Tous les jours. Il est là, Tonton. Elle était en haut, mais nous en bas. À la foire de Paris, on. Là, on voit. Мы здесь прибыла. Par exemple. De Johnny. Johnny Halliday. Il a écourté sa tournée d'adieu. On l'a drôlement charcuté. Et quand j'ai dit ça à Lætitia. Je trouve ça inadmissible. J'ai vu Alex, hier. J'ai vu Lia sur le tapis roulant de Montparnasse. Tout à coup : « Salut ! » Il est à Paris. À Boulogne. « Je passerai vous voir », et tout. Ça rigole plus. Oui. Si. Trop sympa. 你不应失去了。Il me faut ça. On trouve pas des messieurs gentils. Saint-Michel. La responsable. Are you sure ? Peut-être que c'est que La Défense la Californie. L'accident de. On s'en fout, on sort. Le problème. Moi, j'ai quand même mis du mien. Là, j'ai pas vu le truc. Ça doit être là-haut. Les jours où je travaille pas. Bon bé. Bye ! Harcelé. Tu te mets à la place du personnage. Ça t'appartient. Je la mettrai. Scusi ! En groupe ! Elle m'a dit clito. C'est moi, là, à guetter. Y'en a un du stade. C'est un Libanais. Two fathers. Ça fait au moins deux-trois fois, et tu n'as pas répondu. N'empêche que. Mama Lu. Ça a commençé avec moi. Send. Comme un éclair. Por favor. Ding, ding, ding. Non, les enfants. Bon. Je rigole. Ça dépend qui. Éric avait pas la tête à venir. Houdin. Christian Houdin. Banana split ! Toute la racaille. Tu t'y attendais pas. Même pas. Tu la connais. Moi aussi, il m'a traité. Je l'ai, son horoscope. J'sortais du staff. Elle crie. « Coucou ! » Elle a eu peur. Bon bé, ça va. J't'ai raconté. Nada. Regarde : y'a des souris. T'as jamais bu d'alcool, jamais fumé une cigarette. À l'arrêt de bus. Auf wiedersehen. Hé ! Hé ! Hé ! Ah ! Vite, vite, vite. Non, c'est pas la peine de se presser. On l'a raté. À Peshāwar. Quelle heure est-il ? C'est pareil. Va bene ? Obrigado. I think he needs. ¿ Dónde está ? Une canette qu'il lui a renversée sur la tête. C'est pour cela que je fais du sport. Parce que je mange à longueur de journée. Une image de bobo. T'sais c'qu'il balance aux gens qu'il rencontre ? Te quiero, mi amor. Mi puta. A pris une photo de moi. À chaque fois qu'elle faisait les moindres blagues quand elle faisait La Mouette. Vielleicht. C'est pas parce que tu vas te mettre en colère que ça va changer quelque chose. Une demi-heure à t'attendre ! J'ai pris genre cinq kilos. C'est exactement le même concept. Tu sais, le dernier voyage. It was the same old graves. À tout à l'heure, petit con. Connard. Gros con. Gros con ! À tout à l'heure... Vieni con me. Two six two.

 

Les bruits s'effacent, progressivement ponctués par l'écho de quelques chants d'oiseaux des villes dans la gare Montparnasse. Tous. Lumière soudaine, vive et nimbée, sur Je. Dans la salle. Au milieu du public. Robe noire, talons hauts. Sac à dos rouge. Comme une apparition. Sans les anges.

 

 

 

[..]

 

 

 

Elle.– Comme tu es belle. Et forte. Comme tu as raison. Mais comment pourrais-je ? Comment as-tu pu ?

 

Je.– Un miracle, je te l'ai dit. Veux-tu voir à quoi il ressemble ?

 

Elle.– À quoi il ressemble ?

 

Je.– Je suis ne plus seule désormais. Mme La Mort m'accompagne.

 

Elle.– Madame La Mort ?

 

Je.– Madame La Mort, immémoriale et souveraine, sait se montrer discrète, respectueuse, affable. Dans le flux et le reflux de l'estran, dans les marches sans but de cette fin de semaine volée au temps par exemple. Elle m'est apparue plusieurs fois. Au début, je n'ai pas su la reconnaître : elle est experte en déguisement. Son dernier simulacre m'a sauvée. Paradoxalement. Elle incarnait alors un des contrôleurs du T.G.V. 8952, celui que j'ai pris pour rentrer. Un contrôleur fantasque. Extraordinaire. Qui faisait éclater la poésie en bouquet, en proposant des tours de magie, en fabriquant des ballons de baudruche – nounours bleu au cœur rouge pour deux amoureux, perroquet orange sur son trapèze pour des enfants, petit chien noir serrant dans sa gueule un bonbon vert pour une fillette. Ce contrôleur aux yeux pers, au sourire généreux, saltimbanque dans l'âme, il est là. Caché derrière ce fauteuil. Recroquevillé pour ne pas t'effrayer... Veux-tu qu'il apparaisse ?

 

Elle.– Quel est ce mystère ?

 

Je, à Mme La Mort.– Tu peux te montrer. (À Elle.) Cette amie, cette grande dame cache bien son jeu. Elle est impayable à ses heures. Tu devrais la voir : Madone du rire dans la spirale excentrique du quotidien. N'aie pas peur. Mme La Mort est douce, vive, soudaine parfois dans ses façons, mais toujours familière et comédienne. Une chose publique. Une infirmière. Tu verras, elle saura y faire.

 

Mme La Mort, l'embrassant.– Bonjour, Laura. Ce que tu prends, c'est ce que tu pourras donner. Ce que tu as volé, c'est ce qui est vraiment toi-même.

 

Je.– Je te l'avais dit.

 

Mme La Mort, tournant autour d'Elle.– Tu n'as pas mis ta robe de bal ? Dommage, si tu veux te trouver hors de toi-même. Il faut se perdre pour mieux se trouver. Va l'enfiler...

 

Je.– Va.

 

Elle se retire discrètement. Je et Mme La Mort changent de disque, choisissant un morceau plus gai. La Danse macabre de Liszt par exemple. Le jour entre davantage dans la pièce.

Elle revient en robe rouge, longue et décolletée.

 

Mme La Mort.– Vraiment ravissante. À croquer. M'accorderez-vous cette danse ?

 

Elle, comme subjuguée.– Comment refuserai-je ?

 

Elles dansent langoureusement. Je monte le volume.

 

Elle.– Cela faisait si longtemps que je n'avais pas dansé. Avec un cavalier, je veux dire.

 

Mme La Mort.– J'espère n'être pas trop cavalière.

 

Elles dansent longuement, les yeux dans les yeux.

 

 

 

2011

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24 janvier 2013 4 24 /01 /janvier /2013 12:08

P1040366.JPG

 

La scène représente une plage blonde sous un ciel pommelé. Quelques vols d'oiseaux marins.

 

Sur le devant de la scène, des dunes et un jeune pin côté cour. Un rocher lointain côté jardin.

Au fond, la mer et ses vagues inlassables.

 

Au-dessus de la première dune, deux têtes d'enfants qui pointent deux armes en direction du public.

 

 

Scène 1

Une guerre fratricide

Salomon, Ervan.

 

 

Salomon.– Émir, on est un contre tous ou chacun pour sa peau ?

 

Ervan.– Un contre tous.

 

Salomon.– C'est face !

 

Ervan.– Ouais.

 

Salomon.– Ton fusil giclailleur est prêt ?

 

Ervan.– Tu vois pas ? Il est pointé vers la tranchée d'en face.

 

Salomon.– T'as dit la tranche d'enfance ou la tronche d'en face ?

 

Ervan.– Le trou devant. Derrière la première dune.

 

Salomon.– Tu crois qu'ils sont nombreux ? Très ? Hein ? S'ils sont nombreux, c'est fini.

 

Ervan.– Ouais. C'est un risque à prendre. Arme ta grenade. Faut pas tarder.

 

Salomon.– D'ac. (Il fait semblant de dégoupiller une pomme de pin.) J'ai pris aussi mon mazoutka. Mon couteau atomique. Et mon cochon portable. Au cas où on aurait besoin de nous joindre.

 

Ervan.– Ben. Qu'est-ce que t'attends ? Lance.

 

Salomon.– Hein ?

 

Ervan.– Lance, Vujić !

 

Salomon.– O.K. (Il lance la pomme de pin vers la salle et imite le bruit d'une grosse explosion.)

 

Ervan.– On les a eus. C'est bon. (Ils se lèvent.) Maintenant, plan B. Prends ton arc. Tiens. (Il lui tend un bout de bois.) Ta hache de bronze.

 

Salomon.– Oh ! Non. Pas encore la bronze. Ni la fer. Moi, j'voudrais la hache d'or.

 

Ervan.– Ouais. Mais c'est la dernière fois. (Il lui retend le même morceau de bois.) Bon, j'prends l'épée d'or et l'épée de fer. (Il se munit de deux bâtons.) T'attaque en premier ?

 

Salomon.– Oh ! Non. Pas encore. C'est toi.

 

Ervan.– Toujours à rechigner, le p'tit.

 

Salomon.– Tu m'dis pas p'tit.

 

Ervan.– Ben. Ouais. J'retire.

 

Salomon.– Pour faire la paix on fait la marche militaire ?

 

Ervan.– Ouais.

 

Le petit et le grand se placent l'un derrière l'autre et marchent sur la crête des dunes d'un pas pesant en suivant le rythme de leur refrain.

 

Salomon et Ervan, scandant plusieurs fois le même refrain.– On est les méchants. Méchants, méchants. On est les méchants...

 

Ervan, retenant fermemant le petit par l'épaule.– On attaque, Ariel. (Il agresse un ennemi imaginaire.) Tchaïng ! Tchaïng ! Tchaïng ! (Il lui saute dessus.) Iaaaaaaaaaaa !

 

Salomon, l'imitant puis s'arrêtant brusquement en pleine action.– Et si on faisait chacun pour sa peau ?

 

Ervan.– T'es pas marrant là. Tu changes tout l'temps d'avis.

 

Salomon.– Allez !

 

Ervan.– Ouais. D'ac. Mais tu m'attaques de plus loin. Sinon, c'est trop face.

 

Salomon.– D'ac. Mais j'monte sur un cheval. (Il se lève en scrutant autour de lui. Il replace son arc et la lanière de son carquois sur ses épaules. Puis il s'approche du jeune pin et grimpe à califourchon sur sa branche basse.) Tagadac ! Tagadac ! Tagadac ! (Il hennit.) Hihihihi ! Regarde, Jolie J'ai peur ! Ce serait pas l'ennemi, là ? (Il bande son arc vers le grand et tire.) En plein dans le mille ! (Le grand s'effondre.) T'as vu, Jolie J'ai peur ? J'suis fortiche. Hein ? Un as du tir. Trop fort ! Finie, la guerre !

 

Le grand ne bouge pas. Après avoir fanfaronné, le petit, médusé, s'approche de lui. D'abord en courbant le dos, puis en s'accroupissant, enfin en rampant. Mais le grand reste immobile.

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